A propos de l'icône




I Une histoire

L’icône s’inscrit dans une longue tradition vivante de peintres ayant médité, prié et élaboré les canons iconographiques à travers les siècles et à travers les cultures, à l’intérieur même de l’Ecriture et de la réalité de l’Incarnation.

L’iconographie va s’élaborer tout au long des premiers siècles chrétiens et s’affirmer dans ses canons suite à la crise iconoclaste (VIII/IX siècle). Les iconoclastes refusèrent la représentation de Dieu en s’appuyant sur l’interdiction de l’idolâtrie dans la Première Alliance ; tandis que les iconodoules défendirent la légitimité de l’icône du fait même que Dieu s’est incarné. Même si les iconodoules ont eu le dernier mot, le danger de l’idolâtrie, de la superstition n’étant jamais loin, il a fallut clairement poser les limites et distinguer qu’il ne s’agit pas de vénérer la matière, mais Celui qui pour nous est devenu matière en l’assumant et en me sauvant à travers elle.

La grande majorité des icônes ont été détruites à cette époque; seules celles qui étaient en dehors de l’espace Byzantin ont pu nous parvenir, notamment celles du monastère de Saint Catherine au Sinaï.

L’icône se veut témoin des réalités spirituelles, de la vie intérieure manifestée. Elle propose pour tous, à l’intérieur même de la contemplation, d’entrer dans la communion. Il s’agit de recevoir une rencontre, une relation. Un face à face, amenant à aller plus loin, à élargir nos cœurs en se laissant enseigner, pétrir, saisir par le corps. Elle n’est pas là pour nous plaire, pour nous séduire mais pour nous parler, nous mettre en mouvement. Toute la mise en œuvre de l’icône est faite pour permettre une rencontre entre la personne recevant l’icône et la réalité céleste représentée.

Ainsi pour rester ajusté au fait que le Christ s’est fait réellement homme et non pas symboliquement, on appréhende la représentation iconographique en terme de signe et non pas de symbole. Le signe s’inscrit dans le corps, comme une main qui tend vers la direction, alors que le symbole reste dans le périmètre mental.

L’axe central de l’icône est la Transfiguration, son principe de composition est de venir révéler ce mouvement, cette dynamique de la lumière au cœur même de la matière. Pour cela, tout est structuré autour de l’émergence de lumière, du rayonnement. L’icône porte sa propre lumière ; venant de l’intérieur, la lumière jaillit des ténèbres et devient atemporel, nous plongeants ainsi dans l’instant présent. Il n’y a pas d’ombres portées, pas de clair obscur, pas de profondeur. La lumière est le principe constructif.

A l’instar de l’Evangile, l’iconographie s’inscrit dans l’eternel présent, elle est la Présence se dévoilant progressivement à travers le corps de l’Eglise. On retrouve ainsi une constante du langage iconographique à travers le temps et les cultures. Les icônes Russes se distinguent clairement des Grecques ainsi que des Roumaines ou Bulgares tout comme des Ethiopiennes.

Il est question ici de savoir garder la tradition sans copier, d’intégrer la structure de cet héritage tout en laissant l’Esprit Saint l’enrichir de la particularité de chaque iconographe dans son époque.


II L’iconographe et l’iconographie

L’iconographe est témoin, passeur, rien de ce qui est de son expression affective importe, pas même son nom. Il cherche à faire l’expérience du passage de ce qui est du ciel dans la terre, de l’intemporel au cœur même de notre espace-temps et à le donner en partage, comme pour donner à vivre à l’autre sa propre prière. C’est aussi pour cela qu’une icône ne peut et ne doit être faite trop rapidement, il y a un temps nécessaire pour que la prière puisse par le corps, intégrer la matière. Comme pour la Parole et l’Eucharistie, l’icône se doit d’être vivante, donné à tous à l’intérieur même de cette maturation, lente et continue.

Pour garder cette porosité à l’Esprit Saint, cela implique de ne pas chercher à vouloir trop bien faire, dans une démarche lissée et esthétisante, ni même à vouloir être original à tout prix. S’il est central de rester relié à la tradition, il n’est pas question pour autant d’uniformiser en appauvrissant la spécificité de chaque iconographe, mais bien plutôt de témoigner de la pluralité de chacun à l’intérieur de l’unité de l’Eglise. Il s’agit de libérer de tout ce qui fige dans l’individuel pour entrer dans l’espace où la profondeur de la personne est reliée à toute la réalité céleste.

Chaque étape donne à voir cette réalité. De la taille de la planche aux cheveux, rien n’est approximatif. Pour le dessin tout est parfaitement ordonné et structuré géométriquement. On tiendra autant compte des espaces dits vides que des espaces pleins.

A travers la composition se dit l’unité stable mais dynamique. Chaque forme est clairement déterminée, rien d’approximatif ou de flou, et chaque élément est relié à l’ensemble de manière cohérente. Tandis que par la couleur se dit l’amour, vibration vivante, douce et transparente.

On retrouve souvent une perspective inversée, permettant de nous libérer de nos représentations spatiales habituelles en nous donnant l’impression, comme avec le principe de montée en lumière, que toute la structure de l’icône vient vers nous. Nous devenons le point de fuite.

Une icône véritable n’est en aucun cas un portrait. Chaque personne ou situation est représentées de manière constante à travers les époques et les cultures afin de permettre une identification immédiate pour tous.

Les visages sont à peu de choses près tous les mêmes, car unis au seul Visage du Christ. Présenté de face ou plus généralement de trois quarts, mais jamais de profils sauf pour dire la duplicité de Judas ou l’absence de sainteté (l’absence d’auréole venant confirmant cet état). Les yeux contemplatifs sont grand ouverts, les oreilles clairement dessinées écoutent, et la bouche fine reste fermée pour dire la retenue de l’ascèse. Les mains bénissent et portent les attributs du Saint : la croix pour le martyr, le livre ou le rouleau pour l’écriture, l’enseignement, un bâtiment s’il y a eu fondation de monastère.


III Mise en oeuvre

La taille des icones varie des miniatures jusqu’au monumental pour orner les murs et plafonds des églises.

Pour les icônes dites portatives, on utilise traditionnellement des planches en bois massif, généralement en tilleul, souple et homogène, que l’on va enduire de 12 couches de Levkas (qui signifie « blanc » en grec), enduit composé de blanc de Meudon et de colle de peau de lapin. Les techniques diffèrent suivant les enseignements, mais on s’accorde sur le fait que le support se doit d’être parfaitement lisse et homogène pour obtenir un résultat transparent pour la peinture et une brillance sans défaut pour l’or.

L’œuf est le liant utilisé traditionnellement pour peindre les icônes (technique dite : à tempéra) C’est le médium les plus anciens avec la cire. L’œuf à pour avantage de pouvoir être extrêmement transparent et pour autant très solide une fois sec à cœur.

Le fond des icônes est souvent en or, et possédant son propre éclat, elle représente la Lumière incréée. Par cet éclat et en éliminant l’impression de profondeur, l’or dirige le mouvement vers la personne qui regarde l’icône, ainsi le sujet peint se relie à l’observateur.

De manière analogue au cheminement spirituel, l’iconographe part de ce qui est le plus sombre, « les Ténèbres », et progresse en éclaircissements par superposition de fines couches de peinture : la « Montée en Lumière ». Première, deuxième, troisième lumière, jusqu’au blanc pur des dernières lumières. Si les trois premières lumières peuvent être transparentes et amenées en modelé, les dernières lumières se posent par touches dans une texture dense et inscrite avec vigueur par des traits réguliers, donnant ainsi plus particulièrement l’impression de rayonnement.

Il y a principalement deux façon de faire une icône, la Russe et la Grecque : La qualité de présence de l’iconographe diffère pour les deux techniques.

La technique Russe à quelque chose d’une délicatesse plus particulièrement féminine, tandis que la technique Grecque nécessite une vigueur de dimension plus masculine.

Approche russe dite « à la flaque » :

Pour la flaque il faut savoir anticiper en préparant avec soin la progression de la mise en œuvre, puis lâcher le contrôle et laisser faire la matière, l’accompagner avec beaucoup de soin tout en laissant les choses se faire par elles-mêmes. Il s’agit de savoir se retirer afin que ce qui a été fait de manière claire et déterminé puisse se poser et se révéler de lui même.

Sur la planche, on pose successivement des couches de peinture très liquides, transparentes et uniformes, de plus en plus claires et de surface de plus en plus petites. C’est la technique dite du « Petit Lac ». Le pinceau effleure à peine la planche tandis que l’eau se dépose par son propre poids sur la surface. Le geste doit être léger rapide et régulier. On avance ainsi de couche en couche jusqu’à obtenir la teinte voulu au final.

Approche grecque « à sec » :

Pour la technique à sec, il faut tenir le geste tout du long dans une dynamique forte. On reste concentré dans la construction méthodique du corps dans sa densité, sa chair, fibre après fibre.

On mélange le pigment et l ‘œuf de manière à obtenir une pate assez épaisse et homogène. On charge le pinceau de cette peinture et on l’essuie de manière à ce qu’il ne reste que très peu de charge de peinture. On va ainsi l’appliquer sur la planche par une succession de coup de pinceaux dans tous les sens de la forme peinte. Il est impératif d’aborder la forme par la construction méthodique du volume en exerçant un tressage en trois dimensions, analogue à la sculpture en taille directe mais aussi au corps vivant. Si on applique la peinture toujours dans le même sens, le résultat sera immanquablement plat et sans vie.

On va brosser avec souplesse et légèreté la surface en allant jusqu’au bout de la charge, en gardant toujours la transparence de la matière. Il s’agit de tenir dans la continuité, la régularité, comme la prière du cœur que l’on dit et redit de manière à nous unifier à elle.

Au départ les coups de pinceaux sont très visible donnant lieu à un aspect assez laid, puis petit à petit, l’ensemble se densifie jusqu’à devenir homogène. Comme pour toutes transformations, on trouve ces passages d’incertitudes, de dépouillement quant au résultat, d’où émerge une expérience de fébrilité face à l’incertain. A ce moment là, c’est la mémoire et la foi qui permettent à l’iconographe d’avancer.

Ici la transparence et le volume s’obtiennent par la finesse de progression dans le dégradé de couleur. Les teintes sont assez clairement délimitées entre elles, donnant au final un aspect assez graphique.

Mais ce qui domine au terme, dans et à travers l’icône, c’est le mystère d’une présence de la grâce analogue à l’Eucharistie.