Aspasmos

Aspasmos en grec signifie salutation avec étreinte et embrassade. 


Dans l'Évangile, nous retrouvons ce mot lors de l’Annonciation, de la Visitation, et lorsque Paul nous salue dans ses épîtres.

Aujourd’hui, aspasmos est plus particulièrement utilisé pour dire le baiser de paix lors de la Divine Liturgie et lorsque l’on embrasse une icône.


En iconographie, nous avons hérité de cette très belle icône de Pierre et Paul s’embrassant que l’on nomme: O aspasmos ton Apostolon.


Son étymologie nous dit le a: privatif et le spao: tirer l’épée.

Dans la rencontre de cette salutation, il s’agit donc d’être désarmés.

Mais, désarmé de quoi?

De ce qui nous fait prendre les armes, nous met dans le conflit.


Jésus nous enjoins sans cesse à la relation fraternelle et à la confiance dans la foi.

En quoi cela nous concerne dans l’iconographie?


Lorsque nous entreprenons un chemin d’iconographie, nous désirons rejoindre le Christ, la Vierge Marie et tous les saints qui jalonnent l’histoire du christianisme. Nous désirons faire l'expérience du Très Haut et de la charité fraternelle.


Or, lorsque nous faisons face à une icône, d'autres sont là :

Il y a le frère aîné qui nous précède et nous enseigne par la qualité de chaque trait donné à son icône que nous prenons pour modèle. Il nous fait vivre par la spécificité de son geste, l’expérience de sa grâce propre.

Il y a la personne représentée, son témoignage de vie, sa relation au Christ et à toute l’Eglise.

Il y a tous ceux qui l'ont écrite, l'ont transmise ou l'on contemplée à travers le temps. Ce sont tous ceux en qui elle a porté du fruit.

Et enfin chacun de nous, face à son intime, à sa profondeur insaisissable.


Cette relation vivante, comme tout processus d’unité, nécessite un travail de mise à nu de nos faux semblants, une disponibilité de toute notre personne.

Libre de toute contradiction, elle invite à une progressivité de la rencontre, un dévoilement. Une rencontre qui se donne franchement mais reste douce, non invasive et empreinte de confiance.

Elle invite non seulement à la salutation mais à une étreinte de tout le corps, donnant mon visage, ma joue au visage de l’autre.

Cette expérience ne peut se faire sur la défensive ou bien d’un mouvement de tête en se serrant vaguement la main.


Tout dans le processus de l’iconographie amène à vivre cette réalité vivante et vraie, l’unité de toutes choses à travers le temps et l’espace, dans la communion des saints.

Après la Parole, tout commence avec la cohérence du dessin, dans l’harmonie du tracé.

Par ses pleins et ses vides, mais aussi par la tension des courbes se devant d’être légèrement tendues, tandis que les lignes droites sont légèrement incurvées, permettant ainsi une tension dynamique d’un devenir en mouvement.


La composition, la structure et la ligne de l'icône, doit être sans accroche. L'oeil peut se promener sans être heurté ou arrêté. C'est pourquoi tout doit se tenir sans rupture d’équilibre ou d'harmonie. Comme un chemin continu, un mouvement fluide. La personne qui regarde l'icône peut se poser en toute sécurité dans cet espace plein et contenant et ainsi être disponible pour recevoir une expérience. C’est sans mots, sans pensées, juste un vécu que l'on sait certain. On peut se promener dans cette profondeur silencieuse sans crainte et ainsi recevoir l'émergence de cette lumière qui venant à nous, nous attire à elle.


Avec les couleurs, on retrouve ce réalisme relationnel, où, au delà de la connaissance, seule l’expérience corporelle peut être juste :


- Lors de la fabrication dans l’équilibre entre la matière ( le pigment) le liant (l’oeuf) et l’eau. Trop de matière la couleurs devient opaque, sèche, terne; trop de liant au contraire elle devient grasse et glissante tandis qu’avec trop d’eau, elle devient inconsistante et fragile.

 

- Mais aussi lors de l’application de la peinture elle même.

Et celle-ci passe par :

L'élaboration de la teinte et la multitude de ses nuances, offrant ou pas, dans une précision infiniment ténue, l’harmonie entre chaque couleur.

Le mode d‘application, qui dans la technique de la flaque, un juste rapport s'établit entre le faire et le laisser faire, le geste demeure sobre en sachant laisser la couleur s’établir d’elle-même. Et qui, en contrepoint, dans la technique à sec, construit le volume, le corps, par le tressage ténu de la lumière, demandant le courage de monter en puissance de vie fibre par fibre.

 

Alors le résultat final, peut à la fois nous échapper tout en révélant notre singularité.

 

Ce chemin d'émergence de la lumière vient nous chercher en pénétrant nos propres strates et ainsi venir porter la lumière dans l'épaisseur obscure de notre profondeur. Monter en lumière pour pénétrer en profondeur et rendre toutes choses nouvelles.

 

C’est au travers de tous ces passages, que vient par moment nous visiter la confrontation à notre incarnation, à nos limites, à nos rigidités.

Il nous semble faire tout ce qu’il faut et pourtant, on n’y arrive pas…

La matière, la couleur, l’harmonie ne s’établissent pas, résistent et font fi de toutes nos tentatives. Un durcissement prend place. Et non, ce n’est pas la faute du pinceau ou de l’oeuf !

Ce n’est « que » cette résistance créée par notre vouloir bien faire qui s’invite malgré nous.

 

C'est souvent arrivé à bout, qu'advient le moment où enfin on entre dans une réelle réceptivité. C'est-à-dire voir ce qui est donné comme tel et non pour ce que je veux ou pense voir.


Alors avec confiance et un abandon dans le Souffle de l’Esprit qui vit dans chacune de nos cellules et qui sait bien mieux que nous l’harmonie d’un geste juste, on peut entrer dans une perception qui passe par soi mais qui vient d'au-delà de soi. Une perception qui nécessite de se positionner depuis l'intérieur de soi et non depuis l’extérieur de soi dans une perspective de résultat.

 

Pour entrer dans cette douce obéissance au réel de la matière, le geste juste d’abord se ressent, se vit, puis se donne à voir et à vivre.

Être ajusté, éprouve et dépouille de tout ce qui n’est pas relatif au Seigneur. Car comment faire face au buisson ardent autrement que déchaussé, désarmé de toute volonté propre? 

 

Ici la prière va au-delà des mots, elle est une qualité de vécu à travers le corps, la posture intérieure et va donner lieu à une expérience personnelle qui peut alors se transmettre fibre par fibre à l'intérieur de chaque coup de pinceau à celui qui reçoit l'icône. Tout ce qu'il vit va se donner à vivre, par une sensation corporelle qui à son tour va devenir un vécu, une expérience, une prière.

 

Le Christ et tous les saints peuvent ainsi entrer dans nos maisons et nos églises, de rencontres en rencontres, par ce témoignage en vérité de l’iconographe, vivant dans sa chair la rencontre du " Très Bas "